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Sciences et Technologies

Comment déjouer les points faibles du Bitcoin

L’univers des crypto-monnaies est une incroyable jungle, avec son ambition démesurée de changer le monde, ses clans (bitcoin, ethereum, et autres), ses hyper-riches qui spéculent et peut-être manipulent les cours, ses plates-formes d’échange qui créent une finance parallèle, ses malfrats qui exploitent son anonymat, son industrie du « minage » consommatrice inassouvie d’électricité, ses start-up par centaines, et maintenant les banques centrales qui réalisent que cela les concerne et qu’il ne faut pas laisser Facebook, ou la Chine remettre en cause leur puissance parce qu’elles n’ont pas compris assez tôt que c’était sérieux et qu’elles n’ont pas agi rapidement.

Rappelons en deux mots qu’une monnaie cryptographique ou crypto-monnaies est un actif numérique dont l’émission et la circulation fonctionnent sur Internet sans qu’aucune autorité centrale ne dispose du pouvoir de l’interrompre ou de le contrôler, cela grâce à un réseau d’ordinateurs validateurs dont aucun n’a plus de pouvoir que les autres : on parle de réseau pair-à-pair. En janvier 2009, le bitcoin dont 18 millions d’unités aujourd’hui circulent, chacune valant 9400 dollars (le 5-11-2019) a été la première crypto-monnaie mise en service. C’est de loin la plus importante puisqu’à sa capitalisation (18 millions x 7650 dollars = 137,7 milliards de dollars) dépasse celle de toutes les autres crypto-monnaies cumulées. Elles sont environ 4000 aujourd’hui même si seules une vingtaine comptent vraiment.

Malgré sa domination incontestable le bitcoin possède plusieurs graves défauts que ses défenseurs acharnés – on les dénomme « les maximalistes bitcoin » – tentent de nier, mais qui sont évidents à tout observateur indépendant, c’est-à-dire ne cherchant pas à influencer le cours du bitcoin… parce qu’il en possède !

Si on considère que les monnaies cryptographiques ont un intérêt réel – ce qui est mon point de vue – il faut donc accepter d’aller au-delà du bitcoin et écouter la multitude d’acteurs qui proposent et défendent des modèles de fonctionnement améliorés du système bitcoin. Nous allons énumérer un certain nombre de défauts majeurs du bitcoin et expliquer les solutions pour y remédier proposées par ceux qui aujourd’hui inventent l’avenir de ses crypto-actifs dont on doit être certain – qu’on le veuille ou non – qu’ils vont jouer un rôle important dans l’économie de demain.

La centralisation

L’idée de départ du bitcoin est de créer une monnaie qui ne soit aux mains d’aucun État ou acteur central. De ce point de vue, le bitcoin a échoué. En effet, aujourd’hui le pouvoir de décision sur l’évolution du réseau bitcoin appartient aux acteurs qui contribuent à fournir de la puissance de calcul au réseau – on les dénomme les « mineurs », nous allons y revenir – et ce pouvoir est exactement proportionnel à la puissance dont chaque mineur dispose ; cela semble être une sorte de démocratie.

Or, la puissance fournie aujourd’hui au réseau vient pour plus de 60 % de Chine, ce qui signifie que, s’il le veut, le gouvernement chinois en exerçant son autorité sur les mineurs chinois (regroupés en quelques pôles bien identifiés) peut faire ce qu’il veut du réseau bitcoin et par exemple le faire s’écrouler. La centralisation est maximale. Le chiffre de 60 % a récemment été confirmé par le rapport de juin 2019 de Coinshare research « The bitcoin mining network ».

Les maximalistes bitcoin se réjouissaient de ce que les autorités chinoises qui s’opposent à certaines utilisations du bitcoin ont un moment envisagé de chasser les mineurs de Chine, ce qui aurait réparti la puissance de minage plus uniformément dans le monde et aurait effectivement décentralisé le réseau, conformément à l’idée initiale des créateurs de bitcoin. Malheureusement le gouvernement chinois n’a jamais vraiment mis à exécution cette élimination du minage de Chine, et d’après les dernières informations cela ne semble plus être dans ses projets.

La solution à ce problème de centralisation est liée à l’abandon du mécanisme utilisé par bitcoin pour organiser l’activité des nœuds du réseau pair-à-pair, mécanisme appelé « preuve de travail ». Il peut en effet être remplacé par d’autres mécanismes ne conduisant pas à la centralisation du pouvoir.

Le nombre de transactions exécutables

Pour qu’un système se présentant comme une monnaie, ou un moyen de paiement s’impose et remplace ceux existants – les espèces, les comptes et cartes bancaires, Paypal, Alipay, etc. –, il faut qu’à l’échelle globale il puisse exécuter plusieurs milliers de transactions par seconde, et c’est bien sûr le cas des systèmes cités. Le réseau bitcoin ne peut exécuter que 10 transactions par seconde au plus et ne pourra donc pas jouer le rôle que ses promoteurs lui assignaient.

Des solutions existent à ce problème. Construire un système complémentaire qui évite de surcharger le réseau, et lier ce système complémentaire au réseau bitcoin. C’est l’idée du projet lightning network. Il se met progressivement en place, mais il n’est pas prouvé aujourd’hui qu’il puisse vraiment atteindre le nombre de transactions nécessaires. De plus, il complique sérieusement le fonctionnement du système ce qui le fragilise (plusieurs bug graves ont déjà été identifiés) et en change profondément la nature : bitcoin + lightning network n’est plus vraiment un système où la sécurité des transactions est assurée par une blockchain (le fichier que détient chaque nœud du réseau et qui assure la sécurité des informations sur les comptes). C’est peut-être une façon d’aller au-delà du bitcoin, mais comme cela ne résoudrait pas les autres problèmes et en créerait plutôt de nouveaux, nous ne croyons pas à cette solution.

D’autres idées pour accroître le nombre de transactions opérables par seconde ont été imaginées. Elles consistent soit à ajouter d’autres types de couches au réseau bitcoin (« sidechain ») donc à en sortir, ou à changer si profondément le protocole de base que cela ne sera probablement jamais fait vu le mode de gouvernance du réseau bitcoin et les intérêts très forts de certains qui ont bloqué déjà plusieurs propositions d’évolution qui auraient permis une augmentation de ses capacités de gestion de comptes.

La dispute sur la question de la taille des pages par exemple a conduit à une fission du réseau (on dit un « fork ») le 1 août 2017 donnant naissance à Bitcoin Cash, mais sans changer la taille des pages du réseau principal Bitcoin, ce qui signifie pour ce problème la victoire de ceux qui ne voulaient rien changer.

La consommation électrique du réseau

Aux deux premiers défauts majeurs de bitcoin s’ajoute celui de l’énergie consommée. Les mineurs qui fournissent sa puissance au réseau et détiennent des parcelles de pouvoir sur le réseau dont plus de 60 % se trouvent en Chine consomment globalement une puissance électrique qu’on évalue au minimum à 40 TWh par an. C’est environ l’équivalent de 5 réacteurs nucléaires de puissance moyenne, et cela représente environ 0,3 % de l’électricité mondiale. C’est le double de ce que produisent toutes le éoliennes installées en France.

Cette électricité est dépensée pour désigner toutes les 10 minutes environ le nœud du réseau qui aura la charge d’ajouter une page de transactions validées au fichier blockchain qui contient toutes les transactions passées ; ce nœud reçoit en paiement de son travail une certaine somme en bitcoins (12,5 bitcoins aujourd’hui). Cette électricité est dépensée pour résoudre un problème de nature mathématique, qui ne peut être résolu qu’en menant des calculs massifs d’où le nom de « preuve de travail ». Le premier qui résout le problème posé (et renouvelé toutes les 10 minutes) gagne. Plus on dispose de la puissance particulière qui permet de résoudre les problèmes posés, plus on a de chances de gagner. Si par exemple vous disposez de 10 % de la puissance du réseau, vous gagnerez dans 10 % des cas. Ce concours renouvelé toutes les 10 minutes permet de gagner beaucoup d’agent : au total plus de 6 milliards de dollars par an, au cours actuel du bitcoin. Cela a créé une compétition, et le développement d’une industrie spécialisée dans le « minage » dont le plus gros acteur est la firme chinoise Bitmain. Année après année, la concurrence entre les mineurs a fait s’accroître la consommation électrique liée à leur activité de calcul qui a fini par devenir bien plus importante que celle de tous les datacenter de Google, par exemple.

Il y a des solutions simples à ce problème. Puisque cette consommation a uniquement pour but de désigner le nœud qui valide de nouvelles transactions toutes les 10 minutes, il suffit d’imaginer d’autres modes de désignation du nœud validateur qui ne fonctionnent pas sur un concours de calcul coûteux en électricité. Une multitude d’idées ont été proposées ; certaines ont été mises en œuvre et fonctionnent très bien (crypto-monnaies EOS, [ripple](https://fr.wikipedia.org/wiki/Ripple_(protocole_de_paiement),cardano. La seconde crypto-monnaie (ethereum) a programmé de se débarrasser des preuves de travail pour passer à un fonctionnement les évitant.

Le fonctionnement de la crypto-monnaie libra dont Facebook est le promoteur se fonderait bien évidement sur l’un de ces modèles non consommateur d’électricité. C’est donc une folie de continuer à faire reposer le réseau bitcoin sur les preuves de travail et c’est clairement une erreur dans la conception de départ du protocole bitcoin.

La spéculation

La valeur d’un bitcoin est déterminée par la confiance qu’on a en lui, et ne s’appuie sur aucun actif matériel. Cela conduit au gré des événements et des média qui en parlent ou cessent d’en parler à des variations énormes du cours, le rendant très difficile à utiliser en pratique.

Les effets de la spéculation sont ahurissants : un bitcoin valait environ 1000 dollars début janvier 2017, et il a atteint 20 000 dollars en décembre 2017, pour retomber sous les 4000 dollars quelques mois plus tard, et pour aujourd’hui valoir environ 9000 dollars.

La solution à cette instabilité existe : faire reposer la valeur d’une crypto-monnaie sur une contrepartie conservée par un acteur qui garantit le cours. Ce sont les « stablecoin » dont la plus importante aujourd’hui est le tether qui vaut 1 dollar exactement (à 1 % près), car Tether International Limited achète et vend en continu tout tether contre 1 dollar ce qui empêche le cours de varier. La libra serait fondée sur un système de ce type et ne serait donc pas soumise aux variations spéculatives déraisonnables du bitcoin, le rendant inutilisable.

D’autres défauts du bitcoin peuvent être ajoutées à cette liste comme son incapacité à exécuter des smart-contracts. Ces derniers ont été introduits par ethereum et on les considère comme un atout majeur des crypto-monnaies pour le développement d’une économie et d’une finance numérique.

Ces smart-contracts rendent possibles de nouveaux types d’applications décentralisées créant plus de sécurité et de confiance entre des acteurs présents sur les réseaux. C’est d’ailleurs ce qui rend certain que ces nouvelles crypto-monnaies libérées et dépassant le modèle préliminaire du bitcoin s’imposeront. Plutôt que de laisser tether ou libra occuper cette place, les banques centrales (en Europe et même aux États-Unis) sont en train de réaliser que c’est à elles de créer des crypto-euros, des crypto-dollars, ou pourquoi pas si elles s’entendaient entre elles (on peut rêver), une sorte de crypto-monnaie-universelle qui serait au service de tous, et aux mains de personne, permettant d’exécuter des milliers de transactions par seconde, et des smart-contracts, tout en étant économe en énergie et en possédant une valeur stable.

Ce véritable argent liquide numérique universel éviterait que dans l’avenir, si nous en restons aux systèmes numériques de paiement centralisé existants, chaque centime gagné ou dépensé soit suivi et enregistré, rendant notre vie de tous les jours de moins en moins privée. S’il n’est pas trop tard déjà pour envisager de protéger nos données personnelles, une véritable crypto-monnaie bien conçue est nécessaire. Tout sur un plan théorique et informatique est prêt pour la créer et la rendre accessible à tous. Les maximalistes bitcoins freinent le mouvement, les États aussi jusqu’à présent en laissant leurs banques centrales en dehors de l’affaire.

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